PRÉCEPTES PRATIQUES POUR DES GENS PRATIQUES

par Max Heindel

Correspondant au chapitre 15 du livre "Glanes d'un Mystique"


"Si je devais me baser, en affaire, sur les principes énoncés dans le Sermon sur la Montagne, je serais sur le pavé en moins d'une année", disait quelqu'un récemment. "Vraiment, la Bible est absolument inapplicable dans nos conditions économiques; il est impossible de vivre sur de telles bases".

Si ce reproche était fondé, nous aurions là une bonne raison pour expliquer l'incrédulité du monde, mais en justice l'accusé a toujours le droit de se défendre, aussi convient-il d'examiner attentivement les textes bibliques avant de juger. Sur quel point portent vos accusations?

"Oh! ils sont légion, répond notre critiqueur, mais pour n'en mentionner qu'un ou deux, prenons les passages suivants: "Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux leur appartient. - Heureux les débonnaires, car ils hériteront de la terre. - Ne vous inquiétez pas du lendemain, disant: "Que mangerons-nous, que boirons-nous?" De telles idées nous amèneraient tout droit à la faillite".

"Bon déclare le défenseur de la Bible, commençons par la dernière accusation. La Bible dit: "Nul ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l'un et aimera l'autre; ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Voilà pourquoi je vous dis, ne vous inquiétez pas pour votre vie, vous demandant ce que vous mangerez ou ce que vous boirez, ni pour votre corps, ne sachant de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement? Voyez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne recueillent en des greniers, et votre Père Céleste les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu'eux? Qui de vous peu, en s'inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie? Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter? Observez les lis des champs, voyez comment ils poussent: ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. Que si Dieu revêt de la sorte l'herbe des champs, qui est aujourd'hui, et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi! Ne vous inquiétez donc pas en disant, Qu'allons-nous manger? Qu'allons-nous boire? De quoi allons- nous nous vêtir? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père Céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît" (Matthieu 6:24-33).

Si ceci veut dire que nous devrions gaspiller en pure perte toutes nos possessions dans une vie de prodigalité et de dissipation, alors ce serait non seulement peu réaliste, mais aussi répréhensible. Cependant, une telle interprétation ne correspond nullement à la teneur et à l'enseignement de tout le Livre, et ce n'est pas là le sens de ce passage. Le verbe grec "merimnaô" signifie "être exagérément soucieux", ou "anxieux", et en lisant ce passage ainsi rectifié, nous trouverons qu'il donne un enseignement différent, lequel est tout à fait pratique. "Mammon" est un mot syriaque désignant les richesses, telles que les désirent les insensés. Dans le passage précédent, le Christ exhorte à ne pas devenir les serviteurs ou les esclaves de l'argent, qu'il nous faudra de toute manière abandonner lorsque se brise la corde d'argent (Ecclésiaste 12:8) et que l'esprit retourne à Dieu, mais chercher plutôt à vivre des vies de bonté sous forme de bonnes actions que l'on peut emporter avec soi dans le Royaume des Cieux (Matthieu 6:19-21). En attendant ce moment, disait-il, ne soyez pas exagérément anxieux au sujet du manger, du boire et du vêtement. A quoi bon se tourmenter, puisque vous ne pouvez pas, par ce moyen, allonger votre vie d'une seule coudée, ni ajouter un seul cheveu à votre tête. Le souci est l'émotion la plus destructive et la plus déprimante qui soit; en outre, il ne nous conduit nulle part. Votre Père Céleste connaît vos besoins matériels, aussi cherchez d'abord son royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. Dans deux occasions au moins, lorsque des multitudes sont venues vers le Christ en des lieux éloignés à la fois de leurs demeures et des cités où elles auraient pu se ravitailler, il en a fait la démonstration en donnant d'abord la nourriture spirituelle qu'étaient venus chercher ses auditeurs, et ensuite il a pourvu à leurs besoins matériels en puisant directement à une source spirituelle.

Cette philosophie est-elle applicable à notre époque? Assurément, nous en avons eu de si nombreuses démonstrations qu'il n'est pas nécessaire d'en mentionner spécialement une. Lorsque nos vies seront travail et prière, ou prière et travail, qu'elles deviendront une intense prière pour des occasions de servir autrui, alors toutes les choses terrestres viendront d'elles-mêmes au moment nécessaire, et elles continueront à venir dans une mesure plus grande, selon qu'elles seront utilisées au service de Dieu. Si nous prenons l'habitude de nous considérer uniquement comme des gérants et des dépositaires de nos biens, quels qu'ils soient, alors nous sommes réellement pauvres "en esprit ", pour autant qu'il s'agisse des éphémères trésors terrestres, mais riches en trésors plus durables du Royaume des Cieux. A moins d'être des matérialistes à outrance, il est certain que cette attitude-là est judicieuse. Il n'y a pas si longtemps que "caveat emptor" (à l'acheteur de se méfier) était le mot d'ordre des commerçants qui étaient à la poursuite de trésors terrestres et considéraient l'acheteur comme un gibier qu'il était légitime d'exploiter. Une fois qu'ils avaient vendu leur marchandise et encaissé le montant, ils se souciaient peu de la satisfaction ou de la déception de l'acheteur. Ils se faisaient même une gloire de vendre des articles de qualité inférieure, s'usant rapidement, comme le montre cette devise à courte vue: "La faiblesse des marchandises fait la force du commerce". Mais, peu à peu, même des gens qui se moqueraient de l'idée de laisser la religion intervenir dans leurs affaires abandonnent la devise "caveat emptor" et adoptent inconsciemment le précepte du Christ "Celui qui veut être le premier parmi vous, qu'il se fasse le serviteur de tous" (Marc 9:35). Partout, les meilleurs commerçants insistent, dans leur publicité, sur le service qu'ils rendent à l'acheteur, parce que c'est un système qui rapporte et qui peut, par conséquent, être considéré comme un autre précepte pratique de la Bible.

Mais il arrive parfois qu'en dépit de leur désir de bien servir leur clientèle, quelque chose tourne mal, et un acheteur furieux et mécontent vient faire du tapage et se met à discréditer les marchandises mises en vente. Sous l'ancien régime borné du "caveat emptor", le commerçant n'aurait fait que rire, ou bien il aurait mis le client à la porte. Mais il n'en est pas ainsi du commerçant moderne, qui applique les préceptes bibliques dans ses relations d'affaires. Il se rappelle la sagesse de Salomon, selon lequel "une réponse douce apaise la fureur" (Proverbe 15:1) et l'assertion du Christ: "les débonnaires hériteront de la terre", et c'est pourquoi il présente ses excuses au sujet du défaut de la marchandise, offre une restitution, renvoyant ainsi le client, dont la mauvaise humeur a fait place au sourire et qui est tout prêt à chanter les louanges du commerce où l'on est si aimablement traité. Ainsi, par l'application des préceptes pratiques de la Bible, en gardant le sourire et en se montrant "débonnaire", le marchand gagne de nouveaux clients qui viennent à lui en sachant qu'ils seront bien traités; et le profit qu'il en retire ne tarde pas à compenser, et au-delà, ce qu'il avait pu perdre sur la marchandise dont le défaut avait donné lieu aux réclamations d'autres clients.

Garder son sang-froid, se montrer patient et "débonnaire", est source de profits, mais ces profits sont bien plus grands sur le plan moral et spirituel.. Quelle meilleure devise commerciale pourrait-on trouver que celle de l'Ecclésiaste: "Mieux vaut la sagesse que les armes de guerre. Ne sois pas irréfléchi, ne te hâte pas de parler avec irritation, car l'irritation habite au coeur du fou". Le tact et la diplomatie valent toujours mieux que la force et, comme le dit la Bible "Si la hache est émoussée, il faut frapper plus fort, mais il est avantageux d'avoir la sagesse pour guide". La voie de moindre résistance est toujours la meilleure, tant qu'elle est morale et honorable, et c'est pourquoi il est dit "Aimez vos ennemis et faites du bien à ceux qui vous persécutent".

C'est donc, en affaires, une politique à la fois pratique et judicieuse que d'essayer de nous concilier ceux qui nous font du tort, de crainte qu'ils nous en fassent davantage; et il est préférable de surmonter nos mauvais sentiments que de les entretenir, car on récolte ce qu'on a semé. Si nous semons la rancune et la mesquinerie, nous suscitons et alimentons chez les autres les mêmes sentiments. D'ailleurs, tous ces préceptes s'appliquent aussi bien à la vie privée et aux relations sociales qu'au commerce proprement dit. Combien de querelles pourrions-nous éviter en cultivant au foyer la vertu de la douceur; quel plaisir serait le nôtre et combien nos vies seraient heureuses si, dans nos relations sociales et commerciales, nous pouvions apprendre à traiter les autres comme nous voudrions être traités !

La grande tension mentale que cause à beaucoup d'entre nous le souci du lendemain n'est nullement nécessaire. Comme le dit le Psalmiste: "Notre Père Céleste possède la Terre et sa plénitude, le monde et tout son peuplement, les animaux sur les montagnes par milliers..." (Psaumes 24:1 et 50:10). Si nous apprenons à vraiment nous reposer sur lui pour le nécessaire, il est certain que le moyen nous sera donné de nous tirer d'affaires. Tous ceux qui ont fait des recherches sur les causes de décès nous diront que la proportion des personnes mortes de privations est comparativement très faible, par rapport au nombre de celles qui sont mortes d'avoir trop bien mangé. L'auteur a fait l'expérience pratique du fait que si nous accomplissons notre travail au jour le jour, à mesure qu'il se présente à nous, fidèlement et de notre mieux, la Providence subviendra toujours à nos besoins - et beaucoup d'autres pourraient rendre le même témoignage. En agissant selon les enseignements de la Bible, en accomplissant toute besogne "comme pour le Seigneur", peu importe le genre de travail honnête qui nous occupe, car nous recherchons en même temps le Royaume de Dieu. Mais si nous sommes seulement des serviteurs occasionnels, qui travaillent par crainte ou dans l'espoir d'une faveur, nous ne pouvons pas nous attendre à réussir en fin de compte. La santé, la richesse, le bonheur, peuvent nous accompagner pour un temps, mais en dehors des bases solides de la Bible, il ne peut y avoir ni joie durable, ni prospérité véritable en affaires.

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